Thursday, October 12, 2006

Le Soudan

"Darfour : Génocideou crimes de guerre ?"
Voici un extrait de l'interview de Sadig Al-Mahdi, chef historique du parti soudanais d'opposition Umma, réalisée par Fabienne Le Houérou, chercheur au CNRS à l'Iremam-MMSH (Maison méditerranéenne des sciences de l'homme) d'Aix-en-Provence. Cet entretien sera disponible en intégralité dans un ouvrage en cours de publication intitulé "Ces voix qui nous viennent du Darfour".Fabienne Le Houérou : Je souhaiterais que vous rappeliez en deux mots votre parcours politique et votre positionnement au sein de la politique soudanaise actuelle. - Sadig Al-Mahdi : J’ai été impliqué dans la vie politique soudanaise à l’université de Khartoum et plus tard à l’université d’Oxford au sein de l’Union des Etudiants du Royaume Uni.Après la réorganisation de l’Umma, j’ai été élu Secrétaire Général du parti. J’étais très jeune à l’époque, j’avais 28 ans. Plus tard, après le renversement de régime d’Aboud, au moment des élections générales au Soudan, j’ai organisé la victoire électorale de mon parti. J’ai été élu Premier ministre une deuxième fois, élection qui a consacré le retour de la démocratie en 1986.

Ce gouvernement démocratique s’est prolongé une année encore et nous avons dû faire face à un coup d’Etat par le régime islamiste de Turabi et Béshir. Depuis cette date, nous sommes rentrés à nouveau en dissidence afin de combattre cette dictature en 1989. Depuis cette date nous sommes concentrés à défaire ce régime et son agenda islamiste.Par exemple la terre au Darfour appartient aux principales tribus : les 26 tribus les plus importantes !Les chefs tribaux de ces groupes ethniques sont responsables de la gestion des 26 territoires. Le régime, de son côté, a décidé que les terres étaient la propriété du gouvernement et qu’elles ne seraient plus gérées par les tribus. Cette décision a encouragé les groupes minoritaires à prendre des positions autonomes par rapport aux grands groupes. Cela a créé des tensions entre groupes majoritaires et groupes mineurs.Ce problème a été fabriqué de toute pièce par le gouvernement dans la poursuite d’un but politique : celui de se trouver une clientèle ! De toute façon, il y a un autre problème, un vieux problème qui est le fait que certaines tribus sont sédentaires et qu’elles travaillent comme cultivateurs alors que d’autres sont nomades et possèdent des chameaux et vaches. Ce qui est arrivé c’est que durant les années de la sécheresse dans les années 80, certaines tribus du nord et des pays avoisinants, des tribus musulmanes qui sont nomades et donc Arabes, ont trouvé refuge sur des terres qui appartiennent aux cultivateurs et essentiellement deux grands groupes de cultivateurs : les Fur et les Masalit. Dans la zone du Jebel Marra , à l’ouest et au centre se trouvent des populations qui parlent d’autres langues que l’arabe. Les Fur parlent Fur et c’est également le cas des Masalit qui parlent leur langue. C’est ainsi que s’est créé un conflit sur la terre. Des querelles sur les terres opposèrent les cultivateurs qui voulaient garder ces terres pour être cultivées alors que les nomades souhaitaient, de leur côté, les garder pour faire paître leurs troupeaux.Cette tension s’est aggravée au moment de la grande sécheresse en devenant de plus en plus problématique.FLH : Oui , c’est une thèse que j’ai lu chez différents universitaires, De Waal chez les anglo-saxons par exemple.- SAM : Oui, tout à fait. Maintenant voyez-vous certains jeunes arabes décidèrent de faire la loi et de prendre les rênes de la tribu dans leurs mains afin d’intimider les cultivateurs. Généralement ce genre de nouveaux leaders communautaires étaient identifiés comme des "hommes sur le dos de chevaux" : les Janjaweed. Ils étaient persuadés qu’ils devaient poursuivre une politique d’intimidation à l’égard des cultivateurs. De son côté, le gouvernement ne s’est pas prononcé pour régler la situation, il n’a pas dénoncé les actes d’intimidation perpétrés par les Janjaweed. Aussi les populations Fur, Zaghawa et Masalit ont-elles interprété le silence gouvernemental comme une prise de position en faveur des Arabes.FLH : Ils ont eu le sentiment d’être racisé !- SAM : Oui, car le gouvernement n’a pas mis en place de mesure de protection, aucune police n’a été appelé pour protéger les populations qui étaient l’objet d’intimidation.Alors qu’il y avait un problème grave entre les Ziyadiya arabes et les Zaghawa en différents points du Darfour et les Zaghawa ont eu le sentiment que le gouvernement était contre eux. Et, de ce fait, des groupes comme les Fur se rangèrent sur leurs positions. Ils ont considéré que leur ennemi n’était pas les Arabes locaux mais le gouvernement ; ils ont estimé que le leadership à Khartoum avait échoué dans son rôle d’arbitre et de protecteur. Le gouvernement était désigné comme responsable de cet échec. Les représentations armées de ces populations rurales africaines ont pris les armes et s’insurgèrent contre le gouvernement en attaquant plusieurs villes et certains postes. Lorsqu’ils ont commencé leur mouvement initial, un homme, le Général Ibrahim Suleyman rassembla tous les intellectuels du Darfour et les politiciens dans la ville d’Al Fasher. Ils ont décidé de discuter avec les rebelles lors de cette conférence afin de résoudre le conflit de manière pacifique. Toutefois, à la même époque le gouvernement commettait des erreurs d’appréciations et des fautes sur deux dossiers essentiels.Premièrement il n’a pas mesuré la force ni l’importance du défi politico-militaire et il ont sous estimé la " chose" comme mineure. Ils ont estimé que parce qu’ils étaient en train de faire des concessions au sud Soudan (avec les négociations d’Al Fasher) qu’il s’agissait d’une armée vaincue. Le gouvernement avait besoin, pour démontrer l’efficacité du régime, de faire une démonstration de puissance et, de ce fait, il a pensé qu’il devait montrer sa force pour vaincre l’insurrection au Darfour. Il s’agit de la première erreur de jugement. La deuxième erreur du leadership de Khartoum étant de considérer que parce qu’il était en train de faire des concessions avec le sud la communauté internationale aurait excusé la poursuite de leurs activités militaires. Khartoum a commis cette deuxième erreur de jugement alors qu’elle criait haut et fort sur la nécessité d’anéantir la rébellion en deux jours. C’est ainsi que le gouvernement répondit aux premiers défis posés par la rébellion militaire au Darfour. Lorsque le gouvernement a pris position de manière rigide, les rebelles ont décidé, de leur côté, d’effectuer leur propre " escalade ".Aussi occupèrent-t-ils l’aéroport d’Al Fasher et détruisirent des appareils qui appartenaient à l’aviation gouvernementale. Cela a eu lieu en mars 2003 ; le leadership a réellement paniqué, commettant de ce fait sa troisième erreur : il a appelé les tribus à venir le soutenir afin de faire face à la rébellion. Il a fait un appel général à toutes les tribus du Darfour pour soutenir son action contre les rebelles et bien sûr, les éléments essentiels de cette insurrection étaient Fur , Masalit et Zaghawa…En conséquence les tribus qui ont répondu à l’appel gouvernemental ne firent qu’aggraver les divisions ethniques. Bien évidemment ceux qui ont donné suite à l’appel de Khartoum étaient les tribus Janjaweed.FLH : Lesquelles ? Baggara ? Rizeigat ?- SAM : Baggara. Surtout les Baggara et les Jaymayliya, des pasteurs propriétaires de chameaux.FLH : Une précision sur Les Bagarra. Sont ils généalogiquement de descendance directe avec des tribus arabes ou au contraire il s’agit d’une tribu qui s’est métissée au cours des siècles ?- SAM : Ils ont un pedigree arabe mais bien évidemment il y a beaucoup de mariages mixtes.FLH : Pendant des siècles.- SAM : Oui, on peut dire plusieurs siècles de mariages mixtes.FHL : Donc cette origine arabe est un mythe un genre de fiction des origines.- SAM : Oh oui, bien sûr ! Vous voyez l’identité arabe est culturelle ! Vous voyez toutes les identités arabes sont culturelles ! Même ici en Egypte, l’identité arabe est culturelle ! Vous voyez si vous recherchez les ancêtres des Arabes ils disent eux-mêmes que leur ancêtre c’est Ismaïl. Or ce dernier est un juif ! La mère d’Ismaïl est une égyptienne non arabe. C’est seulement la femme d’Ismaïl qui est arabe originaire de Jura et qui descend d’une tribu arabe de l’Arabie du sud. De toute évidence les Arabes sont très clairs sur la nature culturelle de leur identité. C’est la culture qui fait sens pas la race !En effet, le prophète en personne a dit "l’arabité n’est pas une question de père ou de mère ; celui qui a l’arabe comme langue maternelle est un arabe !". Aussi le prophète a -t-il donné lui-même au concept de l’arabité ou de l’arabisme une définition culturelle. Vous trouverez ainsi au Soudan des tribus comme les Rizeigat qui sont très noirs et qui se pensent des Arabes en raison de cette définition culturelle.Vous trouverez également des tribus beaucoup plus claires de peau qui ne se définissent pas comme des Arabes.Ils ont entrepris une campagne d’intimidation massive en bombardant les villages et en incendiant villages et villageois…FLH : Vous ne pensez pas que bombarder un village c’est un peu plus qu’une intimidation ?- SAM : L’idée de départ était de les intimider mais cela a dérapé et cela a pris la forme de crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. L’idée était de brûler des villages afin de dissuader les populations rurales de soutenir les rebelles. Cette stratégie a réellement dépassé son but initial et il a été question de viser des tribus entières.FLH : Khartoum, en quelque sorte, aurait perdu le contrôle !- SAM : Bon, je ne pense même pas que le gouvernement avait une position très claire sur ce qu’il devait faire. Les leaders ont paniqué et ils voulaient se débarrasser de la rébellion à n’importe quel prix ; ils ont pensé que les racines de cette insurrection était liée aux populations civiles. De ce fait, ils ont cherché à intimider et à contrôler les ruraux de la région.Il se peut qu’il y ait à l’intérieur du gouvernement des éléments qui défendent des points de vue extrêmes. De toute manière, quoique ait été l’intention du gouvernement, son action provient d’une erreur d’appréciation. Quel que soit l’intention du régime, il a créé un problème humanitaire international : les populations civiles ont été agressées par des Janjaweed à terre et elles ont été attaquées en l’air par l’armée de l’Air soudanaise provoquant l’exode de milliers de paysans. Certains sont allés se réfugier au Tchad, d’autres à Khartoum , Al Fasher, les villes les plus importantes. Maintenant la cinquième erreur du gouvernement a été de croire qu’il pouvait dissimuler tout cela !Cela n’était pas possible car, à cette époque, le Soudan était exposé au regard de la communauté internationale représentée par de très nombreuses ONG de toutes sortes et engagées dans la lutte des droits de l’homme. Tels Amnesty International, Human Rights Watch, qui toutes ont rédigés des rapports très informés sur les événements d’autant plus que leurs sources principales étaient…FLH : Les réfugiés- SAM : Les réfugiés qui sont allés au Tchad et qui pouvaient parler librement et c’est ainsi que les agences humanitaires ont pu amasser des volumes de rapports en décrivant la situation de manière très précise et détaillée.FLH : Pensez-vous qu’ils ont exagéré ?- SAM : Non, je ne pense pas qu’ils ont exagéré ! D’abord parce qu’ils n’ont pas de raison d’exagérer et c’est vrai que certains ont été très touchés par les atrocités. Lorsqu’ils évoquent les villages brûlés, avant 2003 et après mai 2004, ils possèdent les preuves avec les photos satellites des villages entre Zalinja et Guinena. On peut observer que 44% des villages ont été brûlés. Cette réalité a été dénoncée par les ONG. La deuxième chose qu’ils ont pu également attester c’est l’ampleur des viols et l’instrumentalisation des viols comme outil de guerre, d’intimidation et d’humiliation. Cela a été établit par Médecins Sans Frontières, dans des rapports qui faisaient référence à des patients ayant souffert de violences à caractère sexuelles.Donc la cinquième erreur aura été de croire que tout pouvait être masqué, tout cacher et tout effacer, alors que les rapports justement faisaient la lumière sur toutes ces exactions. Ces documents ont circulé sur Internet. La sixième faute a été de considérer que la communauté internationale aurait fermé les yeux sur tout cela comme le disait d’ailleurs un porte parole américain de l’époque "nous nous concentrons sur les accords d’Al Fasher et le Darfour est un problème interne que le gouvernement soudanais devrait résoudre". Cette attitude a convaincu le gouvernement soudanais que la communauté internationale aurait fermé les yeux sur ce qui se passait. Et peut-être que cela était l’inclination des porte paroles officiels des gouvernements mais lorsque les rapports des ONG sur les atrocités ont été éventés et sont devenus publics cela a provoqué un scandale d’opinion. Je dis qu’il y a eu un coup de l’opinion publique qui a provoqué une vague de sympathie pour les victimes des atrocités. Au Soudan, il a fallut un petit moment avant que les informations atteignent l’opinion publique. Les choses sont arrivées plus tard au Soudan.Les media n’étaient pas autorisées d’évoquer le Darfour au Soudan. C’est seulement après, après que les événements aient été connus, que l’opinion publique soudanaise s’est mobilisée. Donc, quand l’opinion publique internationale se mobilisa elle fit pression sur le gouvernement soudanais et en conséquence le Darfour devint la crise internationale numéro un ! En raison même de ces rapports et de la démonstration qui était faite des atrocités dans la région. Je pense que c’est ainsi que le problème est devenu suraigu.FLH : Comment comprendre la politique du gouvernement soudanais ? Quels sont les intérêts en jeu ?- Sam : Plus que l’argent, l’idéologie. L’idée du gouvernement c’est de déclarer qu’il y a un conflit entre les Arabes et les Africains. D’une certaine manière les Américains et les Israéliens sont avec les Africains et cela a des conséquences sur le plan idéologique. Par exemple, l’opinion publique arabe a une vision très négative des rebelles du Darfour car ils ont l’impression que parce qu’ils sont soutenus par l’opinion américaine, ils doivent être automatiquement anti-arabes et antimusulmans ! Et comme vous le savez l’Amérique est si impopulaire dans le monde arabe que toute population soutenue par les Etats –Unis tend à être mal perçue par l’opinion publique arabe.FLH : Est-ce que vous qualifiez cette crise de génocide ? Les média ont prononcé le terme de génocide et de purification ethnique. Si nous comparons la crise du Darfour avec le drame rwandais on reste quand même dans des scénarios très différents…- SAM : Je crois que définitivement il s’agit ici de crimes de guerre, il est question de crimes contre l’humanité, il y a également certains aspects de la purification ethnique car quand certains ont été chassés d’autres se sont installés. (people moving out others moving in). Toutefois je ne pense pas que ce fut une politique volontaire. Tout faisait penser à un genre d’improvisation. Toutefois cela mériterait de plus amples investigations car nous ne connaissons pas tous les faits, à mon sens une investigation du conseil de sécurité établira qu’il s’agit bel et bien de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

article
Darfour, un nouveau Rwanda?


PROPOS RECUEILLIS PAR JMV

Entretien avec Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS et rédacteur en chef de Politique africaine.

La crise au Darfour intervient au moment même ou les négociations de paix avec le Sud sont en passe d'aboutir. Y a-t-il un lien entre le deux crises?
Roland Marchal: Indéniablement. A la différence que le conflit au sud avait une dimension culturelle et religieuse. C'était la résistance à une politique jacobine d'unification du pays par l'arabisation, l'apprentissage obligé de la langue arabe, assorti de l'islamisation des populations animistes ou converties au christianisme et, bien entendu, soucieuses de préserver leur identité. Au Darfour, au contraire, tout le monde est musulman et parle arabe. Opposer des Arabes à des Africains est d'ailleurs un abus de langage. Au Darfour comme partout au nord, tout le monde est à la fois arabe et africain. De l'autre côté de la frontière, les Zarawas, qui sont les homologues tchadiens des miliciens Janjawids, se disent eux aussi arabes. Cette terminologie est davantage sociale, nomades par opposition à sédentaires, que proprement ethnique. C'est donc à tort que l'on «ethnicise» ce conflit suivant un schéma très réducteur.
Le conflit du Sud et celui du Darfour sont en fait assez dissemblables. A ceci près qu'il y existe un vrai point commun: le profond différentiel de développement entre le centre et la périphérie, entre Khartoum et les provinces délaissées, parce qu'éloignées des zones de développement proches du pouvoir central. Or, les régions restées en arrière, sous-développées, voient aujourd'hui les provinces du Sud négocier le «partage des richesses», autrement dit la répartition de la manne pétrolière. Elles entendent ainsi se rappeler au bon souvenir du gouvernement. C'est ce que le Darfour a commencé à faire en se soulevant l'automne dernier, car ses élites refusent d'être plus longtemps des laissés-pour-compte à qui les promesses faites n'ont jamais été tenues.

Peut-on raisonnablement parler d'un génocide au Darfour?
– Il n'y a pas de comparaison possible avec le Rwanda il y dix ans. Certes, des populations entières se sont déplacées pour fuir les combats. Huit cent mille à l'intérieur des frontières soudanaises. Plus de 100 000 personnes ont trouvé refuge au Tchad. Une partie d'entre elles, 40 000 environ, ont été prises en charge par le HCR et 20 000 ont été accueillies dans trois camps implantés à 50 kilomètres de la frontière pour éviter les incursions des fameux Janjawids, ces miliciens tribaux qui ont mis le Darfour à feu et à sang. Les pertes humaines liées au conflit se monteraient à 30 000. Mais il est évidemment impossible de vérifier ce chiffre. Rien de comparable en tout cas avec les massacres de masse de la décennie précédente. Et puis beaucoup de dignitaires du gouvernement, de l'administration, de l'armée, sont eux-mêmes originaires du Darfour. En général, on ne ­génocide pas les membres de sa famille...


Comment expliquer alors ­l'ampleur actuelle de la crise au Darfour et les accusations portées contre le Gouvernement soudanais?
– Il faut savoir que la crise actuelle avait été précédée en 1991 par une première rébellion dont le chef, Daoud Bolad, avait passé alliance avec les sudistes de John Garang. La répression conduite par Taieb Syra «Barre de Fer» avait été alors d'une extrême brutalité: tout village soupçonné de collusion avec le mouvement populaire sudiste, était pillé et brûlé. En 2003, la situation avait évidemment changé, et laisser les mains libres à la sécurité militaire pour casser la dissidence ne pouvait se justifier d'aucune manière. C'était le meilleur moyen de radicaliser la dissidence tout en pénalisant lourdement les populations civiles. L'armée soudanaise n'avait pas les moyens d'intervenir parce qu'elle est fixée au sud tant qu'un cessez-le-feu définitif n'est pas signé avec le SPLA. Le gouvernement, au lieu de s'impliquer directement dans la résolution du problème au Darfour, a préféré le déléguer à la sécurité militaire qui l'a elle-même fait sous-traiter par les milices Janjawids. Le pire cas de figure.
Notons que la communauté internationale, qui aurait eu son mot à dire pour arrêter la crise à son début, est restée muette. Les Occidentaux engagés dans le processus de paix à Nairobi – Anglais, Américains, Norvégiens et Français – ont tout misé sur les négociations de Nivasha. Quand les pourparlers ont marqué le pas, on est alors passé d'une attitude de négation de la crise à son surdimensionnement.
Que le Gouvernement soudanais ait trop réagi au Darfour, c'est certain, mais le mot «génocide» est de trop. En outre, il constitue une sorte de bombe à retardement: faire peser l'ombre terrible de meurtres de masse sur les négociations avec la dissidence ne peut que compliquer, voire rendre impossible, tout compromis stable entre rebelles et gouvernement.
Aux Nations Unies, certaines déclarations inappropriées ont entraîné une rapide inflation dans les mots. Elles ont apparemment été motivées plus par le souci de dégager a priori d'éventuelles responsabilités étasuniennes que par le souci premier de bloquer la crise. Il s'est aussi agi de masquer de réelles difficultés internes à l'organisation onusienne, dont l'efficacité est loin d'être parfaite. Les fonds d'intervention n'arrivent pas toujours là où ils le devraient! Ne faisons pas d'angélisme en matière humanitaire, tout ne se passe pas dans une maison de verre.

Il n'en reste pas moins que nous sommes au bord de la ­catastrophe humanitaire...
– La situation humanitaire des déplacés et des réfugiés devient en effet tout à fait alarmante. Même si le cessez-le-feu signé récemment à Djamena est maintenu, ce qui n'est pas sûr. Il faut craindre non pas une supposée politique d'épuration mais plutôt le facteur climatique. Avec l'arrivée de la saison des pluies, les camps vont devenir difficilement accessibles par voie de terre; quant aux pistes d'atterrissage, elles sont quasi inexistantes. Le manque d'eau se fait déjà sentir avec tous les risques épidémiques que cela implique. Le pire est peut-être à venir si la situation humanitaire des déplacés et des réfugiés devient incontrôlable. Le HCR a estimé les besoins immédiats à 55 millions de dollars et n'en a reçu que 8. Que Kofi Annan et Colin Powell aient été d'accord pour dire que l'heure n'était pas aux déclarations fracassantes mais à la mise en oeuvre, d'urgence, des moyens adéquats ne change rien à la gravité de la situation.

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